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L’alexithymie : pourquoi certaines personnes ne comprennent pas leurs émotions
« Je suis stressé », « Je me sens triste », « Je suis en colère »… Nous utilisons régulièrement ce type d’expressions pour décrire notre état émotionnel. Indispensables à notre équilibre et à nos relations avec les autres, nos émotions nous guident au quotidien. Mais que se passe-t-il lorsque l’on n’arrive pas à les comprendre ? C’est ce que vivent les personnes présentant un trait de la personnalité bien particulier et méconnu : l’alexithymie.
L’essentiel à retenir sur l’alexithymie
- L’alexithymie est un trait de personnalité caractérisé par une difficulté majeure à identifier, différencier et exprimer ses propres émotions.
- Ce n’est pas une maladie mentale, mais une particularité qui toucherait, selon diverses études, entre 10 % et 13 % de la population générale.
- Les causes sont multiples : elles peuvent être génétiques, neurobiologiques, ou résulter de traumatismes psychologiques ou d’un manque d’apprentissage émotionnel durant l’enfance.
- Elle se manifeste souvent par une pensée très factuelle, un manque d’imagination et une tendance à décrire des sensations physiques plutôt que des sentiments.
- Bien qu’on ne puisse pas « guérir » l’alexithymie, des approches thérapeutiques comme les TCC ou les thérapies psychodynamiques peuvent aider à améliorer la conscience et la gestion des émotions.
Un « brouillard » émotionnel
Le terme « alexithymie » a été introduit en 1973 par le psychiatre américain Peter Sifneos. Le psychiatre Peter Sifneos, qui a introduit le terme, la décrivait comme une incapacité à trouver les mots pour les émotions, provenant du grec a- (absence), lexis (mot) et thymos (humeur, émotion). L’alexithymie correspond à des difficultés majeures pour identifier, traiter et exprimer ses émotions. Des études épidémiologiques, comme celle publiée dans la revue Comprehensive Psychiatry, estiment que la prévalence de l’alexithymie est d’environ 13 % dans la population générale, avec une légère prédominance chez les hommes.
Les personnes alexithymiques peinent à faire la différence entre une émotion et une sensation corporelle. Par exemple, elles pourront se plaindre d’avoir l’estomac noué sans pour autant faire le lien avec l’angoisse. Elles ont également du mal à différencier les émotions les unes des autres : la peur peut ainsi être confondue avec de la colère, ou la joie avec de l’excitation.
L’alexithymie se caractérise par une pensée tournée vers l’extérieur, très factuelle et logique, et par une vie imaginaire pauvre. Les personnes alexithymiques décrivent les événements de manière très détaillée et concrète, sans y associer de sentiments.
Voici quelques exemples de phrases typiques d’une personne alexithymique :
- « Je ne sais pas ce que je ressens. »
- « Je ne sais pas de quoi parler. »
- « Je ne rêve jamais. »
- « Je préfère les films d’action aux films psychologiques. »
D’où vient l’alexithymie ?
Les origines de l’alexithymie sont multiples. Dans certains cas, il existerait une prédisposition génétique. Des facteurs neurobiologiques seraient également impliqués, notamment un défaut de communication entre les deux hémisphères du cerveau : le système limbique (siège des émotions) et le cortex (siège de la pensée et du langage) ne parviendraient pas à interagir de manière optimale.
L’alexithymie peut aussi être la conséquence d’un traumatisme psychologique. Face à un événement douloureux (violences, abus, deuils…), le cerveau met en place un mécanisme de défense pour se protéger d’une souffrance trop intense. Il se « coupe » des émotions, qui ne sont plus ressenties. Ce phénomène, appelé « alexithymie secondaire », est fréquent dans l’état de stress post-traumatique, qui peut survenir à la suite d’un événement choquant.
Enfin, l’environnement familial et culturel joue un rôle dans le développement de l’alexithymie. Les émotions sont un langage qui s’apprend dès le plus jeune âge. Si les parents ne montrent pas leurs émotions et ne posent pas de mots sur celles de leur enfant, celui-ci aura plus de difficultés à les comprendre et à les exprimer à l’âge adulte.
Quelles conséquences ?
Ne pas avoir accès à ses émotions n’est pas sans conséquences. Celles-ci ayant une fonction de signal d’alarme, les personnes alexithymiques sont moins à même d’identifier les situations qui sont bonnes ou mauvaises pour elles. Elles peuvent ainsi rester dans des relations ou des contextes professionnels toxiques, car elles n’ont pas conscience de leur mal-être.
Leur difficulté à exprimer leurs affects peut entraîner des problèmes relationnels. Leurs proches peuvent leur reprocher d’être froids et distants, et de manquer d’empathie. Les personnes alexithymiques peuvent avoir du mal à comprendre les émotions des autres, mais ce n’est pas systématique. On distingue en effet l’empathie cognitive (la capacité à comprendre intellectuellement les émotions d’autrui) de l’empathie affective (la capacité à ressentir les émotions d’autrui). C’est surtout cette dernière qui est altérée dans l’alexithymie.
En l’absence de mots pour être exprimées, les émotions s’impriment dans le corps. L’alexithymie est donc souvent associée à des plaintes somatiques (douleurs, troubles digestifs, problèmes de peau…). « Comme le souligne le professeur Olivier Luminet, un des experts mondiaux de l’alexithymie, ‘les individus alexithymiques ont du mal à réguler leurs émotions car ils ne les identifient pas bien. Cela peut mener à des réactions impulsives ou à une somatisation, où le stress émotionnel s’exprime par le corps’. »
L’alexithymie n’est pas une maladie mentale
L’alexithymie n’est pas considérée comme une maladie mentale. Il s’agit d’un trait de la personnalité, c’est-à-dire une manière d’être au monde qui est stable dans le temps. En revanche, l’alexithymie peut être associée à certains troubles psychologiques ou neurodéveloppementaux.
Selon une méta-analyse parue dans le Journal of Autism and Developmental Disorders, la prévalence de l’alexithymie pourrait atteindre 50 % chez les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), soulignant une co-occurrence fréquente mais distincte. Elle est également fréquente dans la dépression, les troubles anxieux, les troubles du comportement alimentaire ou les addictions. L’alexithymie peut à la fois être un facteur de risque pour ces troubles (en empêchant une bonne régulation des émotions) et une de leurs conséquences (la dépression, par exemple, peut entraîner un émoussement affectif).
Peut-on « soigner » l’alexithymie ?
Puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie, on ne peut pas à proprement parler de « guérison ». Cependant, il est possible d’apprendre à mieux identifier, comprendre et exprimer ses émotions. Plusieurs approches thérapeutiques ont montré leur efficacité.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) peuvent aider les personnes alexithymiques à développer leur intelligence émotionnelle. Elles proposent des exercices concrets pour apprendre à reconnaître les signaux corporels, à mettre des mots sur les ressentis et à adopter des comportements plus adaptés.
Les thérapies d’inspiration psychanalytique et les thérapies psychocorporelles (sophrologie, relaxation, méditation de pleine conscience…) peuvent également être bénéfiques. En se penchant sur son histoire personnelle et en se reconnectant à son corps, la personne alexithymique peut progressivement lever les blocages qui l’empêchent d’accéder à sa vie intérieure.
L’objectif n’est pas de devenir une personne hypersensible, mais de développer une plus grande fluidité émotionnelle pour vivre de manière plus harmonieuse avec soi-même et avec les autres. L’alexithymie n’est pas une fatalité : avec un accompagnement adapté, il est possible de dissiper le brouillard et de laisser les couleurs des émotions éclairer sa vie.
L’alexithymie est une réalité fascinante. Comprendre nos émotions, c’est comme cultiver un jardin secret où chaque sentiment fleurit.
L’article sur l’alexithymie est vraiment éclairant. Comprendre nos émotions est si important pour mieux vivre et interagir avec les autres.
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